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Un plan « Marshal » pour les voies navigables de France

Un investissement d’avenir pour des transports vertueux

L’écologie et la transition énergétique sont désormais érigées en valeur suprême. Pourtant, elles ne déclenchent pas la mise en œuvre concrète d’actions massives à la mesure des enjeux de l’urgence climatique.

Les mesures ou les ajustements décidés sonnent en creux face à la force des déclarations d’intention politique, creusant un hiatus entre les paroles et actes, au risque de radicaliser certains concitoyens et d’être dénoncé par les nouvelles générations.

Sur le sujet du transport de fret et de personnes, notre pays possède historiquement, un maillage très dense et en site propre d’axes de circulation avec le réseau ferré et le réseau fluvial et fluviomaritime.

Pourtant, sous la pression de la rentabilité, les choix stratégiques ont eu raison de ce maillage territorial, abandonnant de nombreuses voies ferrées et un grand nombre de canaux et rivières navigables. Faute d’une volonté politique affirmée, les lignes ferroviaires ferment les unes derrière les autres et notre réseau fluvial et ses installations périclites dans l’indifférence générale et cela même au sein des groupes politiques les plus sensibilisés sur le sujet.

Ces décisions vont à l’encontre de la prise de conscience collective, selon laquelle l’économie outrancièrement carbonée nous pousse dans le mur. Force est de constater que les politiques n’ont pas suffisamment intégré la rapidité voire la précipitation du changement climatique et son impact mortifère sur l’humanité.

Les précurseurs qui proposent la réutilisation du réseau fluvial et fluviomaritime pour assurer le transport de marchandises se voient opposer des raisons économiques, au détriment de la survie de la race humaine.

Gouverner, c’est prévoir. C’est pourquoi, les logiques qui défendent le modèle économique d’aujourd’hui ne peuvent plus prévaloir sur les enjeux de demain. Cette vision libérale tue dans l’œuf des solutions simples et concrètes à notre disposition.

La France possède le plus long réseau de voies navigable d’Europe, soit 8 500 km de voies navigables sur un total de 38 000 km. Le réseau fluvial et fluviomaritime connecte sans rupture de charge la France à la Russie et permet même par le Danube de rallier la Turquie via le Bosphore pour atteindre Istanbul.

Or, notre réseau de voies navigables est très largement sous utilisé au profit du transport routier qui représente 88% du transport de marchandises et seulement 10% pour le réseau ferré. Le transport fluvial quant à lui représente moins de 3% des tonnes-kilomètres transportées contre 7% en moyenne en Europe (12% en Belgique, 15% en Allemagne et 43% au Pays Bas). Ce type de transport, même carboné émet 4 fois moins de CO2 que les transports routiers.

Les chiffres sont pourtant éloquents : le secteur du transport compte pour près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France. La quasi-totalité (95%) provient des camions et des voitures et la part du transport routier de marchandises représente 43 % des émissions totales du secteur.

À titre d’exemple, les 7 ports fluviaux Paris-Lille–Bruxelles- Utrecht- Liège- RheinPort – Ports de Suisse permettent de retirer sur les routes, chaque année, 4 à 5 millions de camions. Cela représente 219 millions de litres de gasoil en moins (63%) et 56 millions de tonnes de CO2 en moins (62%). L’impact n’est pas uniquement écologique, il est également humain, financier et social : 27 accidents mortels et 115 accidents graves sont évités; 32 millions d’euros en moins en matière de coût social lié aux nuisances sonores, aux embouteillages, au stress…

Principalement utilisé pour des transports de marchandises de pondéreux, d’hydrocarbures, de céréales et de matériaux de construction, le transport fluvial peut également assurer des lignes régulières de transport de conteneurs de denrées ne nécessitant pas des délais d’acheminement rapides tels que les granulats, les produits de recyclage, les  vins et spiritueux, les fruits (pommes, bananes), les chaussures, la téléphonie, les vêtements ; les produits chimiques, les accessoires de mode, les produits d’hygiène…

Une petite péniche au gabarit Freycinet (38,5 mètres) transporte l’équivalent de 25 camions et consomme 4 fois moins qu’un seul camion.

De même, une barge qui peut transporter 5000 tonnes de marchandises, permet de retirer des routes entre 200 et 300 camions et de décongestionner l’entrée des métropoles.

La distribution urbaine fluviale offre une très grande souplesse. Livrer les villes par ce mode de transport est un nouveau défi qui permet de répondre au besoin des commerces de proximité et de la livraison à domicile.

Le chargement et le déchargement peuvent se faire de manière automatisée sur des camionnettes électriques. La préparation des livraisons peut s’effectuer à bord des péniches et être délivrées au plus près des points de ravitaillement, sous forme de halte fluviale en triporteur, en voiture électrique ou dans les bus avec un quai sans équipement de manutention.

De plus, les bâtiments industriels et de stockage qui bordent les canaux à l’approche des agglomérations sont vides. Ils peuvent être reconvertis en centres logistiques pour la distribution urbaine comme point de stockage, de tri et d’étiquetage.

Ce type de transport (péniches, barges, etc.) est particulièrement adapté aux nouvelles motorisations à l’hydrogène (piles à combustible). Des exemples concrets sont à déjà à l’œuvre : la Compagnie Fluviale des Transports, vient de commander un pousseur à hydrogène pour servir sur le Rhône. Aussi, le courant quai peut être amené par l’hydrogène, identifié comme le seul carburant maritime vraiment efficace pour traiter toutes les émissions polluantes.

Le déclin avéré du réseau fluvial ne doit plus être une fatalité. Son manque d’entretien, depuis plusieurs décennies, entraine des difficultés d’exploitation que nous ne devons plus observer en arguant des difficultés d’investissement.

Pour toutes ces raisons, l’Europe et la France doivent imposer une transition énergétique basée sur des transports vertueux par un véritable « Plan Marshal » des déplacements et de certains frets. Dans cet esprit, il apparait fondamental de faire du transport fluvial et fluviomaritime une grande cause nationale et européenne.

Philippe Dorthe

21 février 2020