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Marcel Kuntz

Biologiste

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS, et essayiste. Il est Médaille d’Or 2017 de l’Académie d’Agriculture de France. Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble. Auteur de « Les OGM, l’environnement et la Santé » (Ellipses), « OGM, la question politique » (PUG), « De la déconstruction au wokisme : la science menacée » (VA Edition).

 L’essentiel

Les produits phyto sanitaires : des produits utiles pour faire face aux besoins alimentaires croissants d’une population qui augmente très vite

La mise à disposition de produits phytosanitaires a été longtemps considérée comme un progrès par les agriculteurs. Pour comprendre les difficultés de la période sans agrochimie (issue de la chimie organique), il suffit de considérer la Grande Famine en Irlande entre 1845 et 1852 (un million de morts ; un million et demi d’émigrés) ; le mildiou, maladie due à un champignon parasitaire, en fut à l’origine. Les pesticides modernes ont depuis évité une telle catastrophe. Ils ont aussi permis d’augmenter les rendements pour nourrir une population croissante, notamment dans les pays émergents où leur utilisation n’est pas encore contestée.

Le succès du glyphosate

Il s’agit d’un herbicide dit « total », c’est-à-dire qu’il est efficace contre toutes les plantes. Il fut commercialisé à partir de 1974 et se trouve aujourd’hui dans le domaine public, produit principalement par des entreprises chinoises. Cet herbicide a connu le succès chez les agriculteurs, notamment pour lutter contre les plantes vivaces difficiles à éliminer. Il fut apprécié également en jardinage, et pour le désherbage d’espaces urbains et industriels.

Son utilisation fut accrue après la mise sur le marché des plantes transgéniques rendues tolérantes à cet herbicide, à partir du milieu des années 90. Ces plantes connurent également un grand succès – mais en Europe la querelle des « OGM » a bloqué leur mise sur le marché. Ces plantes tolérantes et la facilité de désherbage qu’elles permettent étaient, en effet, bienvenues pour de nombreux agriculteurs. Outre ces bénéfices économiques, ces plantes et cet herbicide peuvent avoir des avantages environnementaux, en encourageant la culture sans labour (agriculture de conservation). En effet, le mode de travail, ou non, du sol est le facteur le plus déterminant de la biodiversité des sols.

Les inconvénients des produits phytosanitaires sont une possible contamination des eaux de surface et des nappes, des risques sanitaires pour les utilisateurs, ainsi qu’une éventuelle perte de biodiversité.  Certaines interdictions sont ainsi justifiées, mais les pouvoirs publics y ont souvent recours sans miser plutôt sur le diagnostic et l’information, et de là une utilisation raisonnée.

Le glyphosate menacé

Cet herbicide possède un profil toxicologique plus favorable que beaucoup d’autres pesticides, et sa ré-autorisation n’a pas posé de problème, jusqu’à récemment. Cela a changé lorsque le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), ou plus exactement son groupe de travail sur le glyphosate (GTG) a publié un classement « agent probablement cancérogène pour l’homme » de cet herbicide en mars 2015.

Cependant, toutes les autres agences scientifiques qui ont rendu un avis dans le monde ont réfuté ce caractère cancérogène probable pour l’homme, y compris l’agence européenne EFSA.

Une campagne massive de détection du glyphosate dans les urines, accompagnée de plaintes en justice, menée par les opposants au glyphosate, s’est révélée basée sur un test inapproprié, mais a néanmoins connu un grand succès médiatique.

Le 16 novembre 2023, en l’absence d’une majorité qualifiée des Etats membres, la Commission européenne a renouvelé l’autorisation du glyphosate pour 10 ans.

L’avenir

L’agriculture se tourne progressivement vers le travail sans labour qui présente de nombreux avantages (laisser des résidus en surface qui couvrent le sol, concentrer la matière organique dans les premiers centimètres de sol, favoriser l’activité biologique du sol et donc la circulation de l’eau, améliorer la stabilité du sol …). L’utilisation de produits phytosanitaires est encore souvent alors nécessaire. Elle peut être réduite par des techniques modernes comme la géolocalisation permettant de limiter les épandages

Une interprétation excessivement large du principe de précaution implique de réduire l’utilisation de tout ce qui est « chimique », donc des produits phytosanitaires et des engrais, mais qui restent actuellement nécessaires pour éviter des baisses de rendements dommageables pour l’agriculture et qui affecteraient aussi le pouvoir d’achat des consommateurs. 

Marcel Kuntz

Le glyphosate : un produit utile mais controversé

Temps de lecture : 8 minutes

Les hauts et les bas de la perception des pesticides

La mise à disposition de produits phytosanitaires a été longtemps considérée comme un progrès par les agriculteurs. Pour comprendre les difficultés de la période sans agrochimie (issue de la chimie organique), il suffit de considérer la Grande Famine en Irlande entre 1845 et 1852 (un million de morts ; un million et demi d’émigrés) ; le mildiou, maladie due à un champignon parasitaire, en fut à l’origine. Les pesticides modernes ont depuis évité une telle catastrophe et permis d’augmenter les rendements pour nourrir une population croissante.

Dans la catégorie des pesticides, les herbicides sont un mode d’action utile pour lutter contre les mauvaises herbes, et souvent, c’est l’option de lutte la plus efficace.

Dans un schéma classique (autrefois) de l’enthousiasme pour une technique, les risques sont minimisés et se matérialisent un peu plus tard. Pour les produits phytosanitaires : possible contamination des eaux de surface et des nappes phréatiques, risques sanitaires pour les utilisateurs, si ceux-ci se sont insuffisamment protégés d’une exposition, ainsi qu’une éventuelle perte de biodiversité dans les champs ou à leurs abords.

Pour les pouvoirs publics, la phase actuelle est celle d’une tendance lourde aux interdictions (quelquefois justifiées), plutôt que de miser sur le diagnostic et l’information, et de là une utilisation raisonnée. Cette tendance est encouragée par les campagnes alarmistes des militants anti-pesticides, relayées par beaucoup de médias, et souvent financées par les grandes enseignes du « Bio » dans le but de faire progresser leurs ventes (les produits de l’agriculture biologique étant à tort vus par les consommateurs comme « non-traités » ; cette filière utilise en fait ses propres pesticides en fonction de son cahier des charges).

Le succès du glyphosate

Il s’agit d’un herbicide dit « total », c’est-à-dire qu’il est efficace contre toutes les plantes. Il fut commercialisé à partir de 1974 et se trouve aujourd’hui dans le domaine public, produit principalement par des entreprises chinoises. Cet herbicide a connu le succès chez les agriculteurs, notamment pour lutter contre les plantes vivaces difficiles à éliminer. Il fut apprécié également en jardinage, et pour le désherbage d’espaces urbains et industriels.

Son utilisation fut accrue après la mise sur le marché des plantes transgéniques rendues tolérantes à cet herbicide, à partir du milieu des années 90. Ces plantes connurent également un grand succès – mais en Europe la querelle des « OGM » a bloqué leur mise sur le marché. Ces plantes tolérantes et la facilité de désherbage qu’elles permettent étaient, en effet, bienvenues pour de nombreux agriculteurs. Outre ces bénéfices économiques, ces plantes et cet herbicide peuvent avoir des avantages environnementaux, en encourageant la culture sans labour (agriculture de conservation). En effet, le mode de travail, ou non, du sol est le facteur le plus déterminant de la biodiversité des sols.

Le glyphosate menacé

Cet herbicide possède un profil toxicologique plus favorable que beaucoup d’autres pesticides, et sa ré-autorisation n’a pas posé de problème, jusqu’à récemment. Cela a changé lorsque le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), ou plus exactement son groupe de travail sur le glyphosate (on l’appellera ici GTG) a publié un classement « agent probablement cancérogène pour l’homme » de cet herbicide en mars 2015.

Cependant, toutes les autres agences scientifiques qui ont rendu un avis dans le monde ont réfuté ce caractère cancérogène probable pour l’homme, y compris l’agence européenne EFSA.

Pour beaucoup de médias, et pour les pouvoirs publics, c’est le seul avis alarmiste qui prime, contre ceux des agences officielles européennes, et française. En novembre 2017, le président de la République tweete « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France au plus tard dans trois ans ». A la fin de son premier mandat en janvier 2022, le Président regretta d’avoir fait cette promesse intenable. Le glyphosate est néanmoins banni des espaces publics, puis pour les particuliers en 2019, mais pas pour l’usage agricole.

Existe-t-il une explication scientifique au classement du CIRC ?

Une des explications possibles à la divergence d’avis serait que le GTG examine le danger (ce qu’un produit peut faire), alors que l’EFSA considère le risque (ce que le produit fait réellement). Cette explication n’est pas satisfaisante, car le CIRC examine aussi les études épidémiologiques, qui visent à corréler des modifications de l’état de santé de sujets et leur exposition à des causes potentielles d’une maladie – donc ce que le produit fait réellement. De plus, l’agence européenne ECHA, qui a comme mission d’évaluer le danger, a elle-aussi contredit le CIRC sur le glyphosate.

Le CIRC ne considère que les études publiées dans des journaux scientifiques, alors que d’autres agences examinent en plus les études qui figurent dans les dossiers réglementaires de demande d’autorisation de mise sur le marché. Mais cela n’explique pas de manière convaincante la divergence.

Les théories, plus ou moins complotistes, des opposants au glyphosate, confrontées au rejet de leur thèse par toutes les agences scientifiques, sauf le CIRC, ne seront pas discutées ici (voir https://www.fondapol.org/etude/glyphosate-le-bon-grain-et-livraie/).

L’absence de neutralité du GTG du CIRC

Devant la polémique qui enfla à la suite de l’isolement scientifique du CIRC, il eut été facile pour ce dernier de la dégonfler en argumentant quant à une différence de méthodologie, par exemple du poids donné à certains types d’études. Cependant, ce n’est pas ce que le CIRC, ou plutôt certains membres du GTG, ont fait. Ils ont plutôt attaqué de manière virulente l’EFSA. Donnant ainsi une première indication, d’un positionnement non-scientifique.

Des éléments accablant contre le GTG sont apparus, notamment lors d’auditions sous serment dans le cadre de procès aux Etats-Unis et grâce à la publication de courriels selon la loi sur la transparence dans ce pays. Certains des membres du GTG ont eu des liens avec des organisations militantes anti-pesticides, et certains ont signé un contrat de consultance avec des cabinets d’avocats qui ont entrepris de poursuivre Monsanto au nom de victimes d’un cancer attribué, selon eux, au glyphosate.

Le rôle crucial des avocats prédateurs fut ainsi mis en lumière dans cette affaire. Ces cabinets recrutent par annonces publicitaires des personnes atteintes d’une pathologie en leur faisant miroiter des compensations, en prélevant en cas de succès judiciaire 30 à 40 % des indemnités allouées par la justice. Le classement du CIRC a été exploité dans ces plaintes.

Ces éléments contredisant le récit habituel d’une grande partie de la presse, où les « méchants » et les  « gentils » sont pré-désignés, ils ont été passés sous silence. Cette presse préférant rester sur une narration où Monsanto reste le seul Grand Satan (une lecture sélective à charge des documents révélés aux Etats-Unis sera faite sous le titre des « Monsanto papers » et deviendra pensée unique ; voir https://www.fondapol.org/etude/glyphosate-le-bon-grain-et-livraie/).

Pour en savoir plus

Les pièces du dossier CIRC sont regroupées ici :

https://data.over-blog-kiwi.com/1/50/63/38/20201206/ob_7db14a_pieces-dossier-circ-glyphosate-dec2020.pdf

Les éléments de preuves qu’un personnage-clé dans le classement du CIRC a des liens financiers avec des cabinets d’avocats exploitant le classement du CIRC dans des procès lucratifs sont regroupés ici :

https://data.over-blog-kiwi.com/1/50/63/38/20201224/ob_9a4319_portier-contract-and-bills.pdf

Une exception médiatique française :

https://www.lepoint.fr/economie/glyphosate-la-saga-d-une-manipulation-11-10-2023-2538924_28.php

Une campagne visant à accréditer la thèse d’une contamination généralisée de la population

Les opposants allemands au glyphosate avaient lancé une campagne de détection de cet herbicide en 2015, dans le lait maternel, puis dans l’urine. L’agence scientifique allemande BFR avait prouvé en 2016 que la méthode utilisée n’était pas fiable. Malgré cela, la même méthode a été reprise dans la campagne en France à partir d’août 2017, développée à grande échelle par un groupe d’activistes qui a pris le nom de « pisseurs involontaires de glyphosate ». A partir de février 2019, ces activistes ont lancé une campagne de plaintes en justice.

Devant cette situation, et sans réaction des pouvoirs publics français, un groupe d’agriculteurs a enquêté et décrypté la manipulation, par la réalisation et compilation de tests croisés réalisés par différents laboratoires, en utilisant différentes méthodes. La méthode reconnue scientifiquement la plus fiable a infirmé l’idée de la contamination universelle. Les plaintes ont été classées sans suite.

Plus de 700 articles de presse ont été consacrés aux « pisseurs de glyphosate » auxquels il faut ajouter des couvertures radiophoniques et télévisuelles (dont un « Envoyé Spécial » sur France 2). La presse française n’a en revanche pas enquêté quant à la fiabilité du test utilisé, sauf exceptions dont L’Opinion le 6 novembre 2019, sous le titre « un soupçon d’intox » et le 19 décembre 2019 Le Point sous le titre « Preuve à l’appui : les glyphotests sont bidon ! ».

Finalement une ré-autorisation en 2023 dans l’Union européenne

Les matières actives de produits phytosanitaires sont autorisées, ou non, au niveau de l’Union. Les produits commerciaux le sont au niveau des Etats membres. Cette autorisation, ou son rejet, fait l’objet d’un vote des États à la majorité qualifiée.  Sans une telle majorité, et après un second vote, il appartient à la Commission de décider (elle suit généralement dans ce cas, l’avis scientifique officiel européen).

Ce mécanisme permet à certains États, dont la France, de manœuvrer collectivement pour se défausser sur la Commission d’une décision « politiquement » difficile à assumer. Le gouvernement français s’est ainsi abstenu. Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a fourni les explications suivantes : « Nous ne sommes pas parvenus à trouver suffisamment d’alliés, 17 pays ont voté en faveur de la position de la commission et on a, y compris pour les raisons diplomatiques, voté comme les Allemands (…) pour faire en sorte de continuer à trouver des alliés sur ce sujet ».

Le 16 novembre 2023, la Commission européenne a renouvelé l’autorisation du glyphosate pour 10 ans. Le gouvernement français dit vouloir rapidement réduire l’usage agricole du glyphosate dès que cela est possible et poursuivre l’interdiction des usages non-agricoles.

Marcel Kuntz