Skip to main content

Le projet social-écologique

 

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier cette semaine les principales réflexions issues de ce travail collectif. Aujourd’hui : la synthèse entre socialisme et écologie.

 

 

Un programme pour la gauche du réel.

Depuis que ce siècle a commencé, la politique a changé de base. C’est le premier constat qui commande aujourd’hui tout programme social-démocrate. Auparavant, le socialisme, le capitalisme libéral ou le communisme, les trois grands systèmes qui se sont affrontés au 20ème siècle, reposaient sur une croyance commune : l’homme ne progressera qu’en exploitant sans frein la nature. Tel Prométhée, les humains ingénieux avaient volé, non pas le feu du Ciel, mais celui de la Terre, sous la forme des énergies fossiles qui rendaient possible une croissance qu’on pensait infinie. Dans cette ancienne optique, la science et la technique ouvraient des perspectives inépuisables de progrès matériel à cette humanité prédatrice.

Puis peu à peu, à partir des années 1970, sous l’influence de la pensée écologique, il fallut admettre que la planète avait des limites, que les énergies fossiles ne manqueraient pas de s’épuiser un jour, que la religion de la croissance qui dominait l’action publique compromettait l’environnement, que la diversité des espèces se réduisait comme peau de chagrin, que la pollution devenait un danger majeur et que le dérèglement climatique menaçait l’avenir même de la planète, en un mot que la nature n’était plus cet instrument passif soumis à l’hubris productiviste, mais une réalité vivante, fragile qu’il fallait désormais protéger et transmettre. Ainsi nous sommes entrés, selon le mot de Patrick Vieu, rédacteur du « Programme fondamental », dans l’âge du « géologico-politique ».

Conversion totale à la vision écologique ? Oui et non. À la différence de certains écologistes, le socialisme se garde de toute déification de la planète. Digne de respect et de protection, la nature ne produit pas de valeur morale. C’est une entité familière, proche, amicale par sa beauté et sa profusion, mais aussi indifférente et souvent hostile. De même les humains, quoique nés du règne animal, ne sont pas des animaux comme les autres, qui devraient rentrer dans le rang du vivant, lequel détiendrait, à leur égal, des droits intrinsèques comparables à ceux des humains. L’antispécisme – l’équivalent de l’antiracisme dans le règne du vivant – érige les animaux en sujets de droit, fondant une communauté juridico-politique des tous les animaux, femmes et hommes compris.

Le socialisme ne partage pas cette utopie naturaliste. Il reste un humanisme, mais un humanisme repensé, qui considère l’homme non plus comme le prédateur légitime de la nature, mais comme un être responsable, gardien de la planète où il vit et qu’il lui faut transmettre aux générations futures. De même, l’humanité s’impose des devoirs nouveaux vis-à-vis des autres êtres vivants dont elle a la garde. Elle doit lutter contre la marchandisation du vivant, la chosification des bêtes et la souffrance animale. Responsable de la nature, l’humanité doit respecter la planète, non comme une déesse hiératique qui lui dicte sa loi, mais comme une partenaire essentielle et comme sa seule maison possible, dans un intérêt commun bien compris.

La grande tâche des décennies à venir s’impose ainsi d’elle-même : réussir la mutation écologique et sociale de l’économie mondiale et, pour commencer, celle de la France. Non pas, comme le pense souvent la droite, grâce à quelques amendements à son mode de vie prédateur et par le simple développement réorienté de la technoscience, qui fournirait à l’humanité sa planche de salut, sans qu’on touche aux principes du capitalisme libéral. Mais au contraire par une action collective de l’État et de la société pour maîtriser l’avenir et garantir d’un même mouvement justice sociale et transition écologique, c’est-à-dire en usant des instruments propres à la social-démocratie.

Il y faut d’abord une planification démocratique qui réoriente la production, fondée sur l’adhésion de la population et sur la juste répartition des efforts entre les classes sociales, sachant que les plus favorisés sont aussi ceux qui polluent le plus. L’urgence climatique impose la mise en place d’un nouvel équilibre énergétique qui permette de sortir progressivement des énergies fossiles par l’usage des ressources renouvelables combinées à l’incontournable développement du nucléaire, qui fournit une électricité décarbonée à un coût maîtrisé. Cette planification social-écologique suppose aussi de modifier le statut de la propriété, de manière à préserver les biens communs à toute l’humanité.

Il y faut ensuite une consommation plus sobre dont les effets seront mesurés non plus par le seul PIB, mais aussi par des indicateurs de bien-être qui doivent devenir la vraie boussole des politiques publiques. Cette marche vers la sobriété sera guidée par l’instauration d’une « taxe au carbone ajouté » qui modifiera l’échelle des prix en fonction de l’empreinte carbone des produits, et par la généralisation du « compte carbone » qui permettra à chacune et chacun de mesurer en toute responsabilité ses émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi sera surmonté le stérile débat entre croissance et décroissance. Il est impossible, démocratiquement parlant, de programmer à l’avance une décroissance de l’économie : ce serait annoncer à la population qu’elle devra supporter pendant des décennies un appauvrissement continu du pays. Aussi bien, les investissements nécessaires à la mutation écologique produisent par définition de la croissance, de même que la création de nouveaux produits ou de nouveaux services à la fabrication décarbonée.

Mais l’ancienne religion de l’expansion maximale n’est pas plus réaliste. En fait, les productions polluantes devront décroître et les autres se développer. Bien présomptueux, celui qui prétend prévoir l’effet global de cette mutation sur l’évolution à long terme du PIB. L’essentiel réside dans la construction collective d’un nouveau mode de développement, mesuré autant par les indicateurs de bien-être que par la simple comptabilité des productions matérielles. En ce sens, la social-écologie n’est pas une simple amodiation prudente du capitalisme, mais un projet complet et démocratique de transformation sociale.